— Raph, pose-toi, tu nous donnes le tournis.

Je voudrais bien, mais on est le 12 février. Je veux faire une surprise à Vic pour la St Valentin. Et j’ai rien. Zéro idée. Zéro inspiration - du moins pas d’inspiration qui soit à la hauteur de mes sentiments -. Et par dessus tout, j’ai ce putain de shooting photo, qui vient contrecarrer mes projets !

Louis m’a emmené chez Brice en dernier recours, mais je me demande encore pourquoi cette idée m’a traversé la tête. Mes frères sont célibataires depuis plus longtemps que moi !

— Tu ne peux pas l’annuler ? questionne Louis plein de bonne volonté.

— Non. J’ai déjà refusé leur proposition l’année dernière. Je ne vais pas en plus refuser ce job là. Si je dis non, ils ne me proposeront plus rien.

— Ce sont tes sponsors, réplique notre aîné, et tu es sexy. Ils ne vont pas te laisser tomber pour un rendez-vous avorté.

Il grimace.

— Est-ce que tu viens de dire que j’étais sexy ? remarqué)je sûrement en même temps que lui.

—Ouais, c’est glauque !

Il mime un frisson de dégoût. Avant de m’envoyer un clin d'œil.

On se marre. Louis se joint à nous. Cette légèreté me détend deux secondes avant que le désastre de cette situation ne me retombe dessus. Je m’affale dans le canapé. Je suis nul. J’ai joué le grand quand j’ai voulu sortir avec Vic, et maintenant, je gère comme un gamin. Un petit ami en carton ! 

Ça fait des jours que je cherche un truc. Je sais que Vic s’en fout de la St Valentin mais j’avais envie de nous évader de notre quotidien. L’année dernière son café venait d’ouvrir, Vic n’avait pas voulu prendre de congé avant la fin de la saison. Cette année, on a emménagé ensemble pour nos un an, ensuite... l’état de ma mère s’est dégradé. Elle est partie peu de temps après qu’on ait défait nos derniers cartons, et même si ça faisait plus d’un an qu’on s’y préparait avec Brice et Louis, le moral en a pris un coup. J’ai pas repensé au mois de février avant qu’on soit en plein dedans. J’ai envie qu’on s’éloigne de notre montagne, de faire décoller Vic de sa boutique, et l’emmener en week-end prolongé en amoureux. Il y a encore quelques jours, la seule question qui me restait à résoudre, c’était où ? Jusqu’à ce que le message de mon manager plombe mes projets. 

On aurait pu penser qu’au bout d'un an et demi de relation, je ne sois plus du tout stressé quand il s’agit de Vic, le truc c’est que je le suis toujours. Elle est sortie avec d’autres types. Ils l’ont emmenée au resto, ciné etc. Moi, je n’ai pas encore sauté le pas. On s’amuse ensemble. On sort, oui. Avec mes potes. Mes frères. On va voir son père. Mais jamais encore je n’ai franchi le pas de l’emmener au  resto. C’est con à dire, mais pour moi ce genre de truc est guindé, et avec Vic on est loin d’être comme ça elle et moi. On a appris à se connaître - enfin à se reconnaître ! - à moitié fringués, ou les deux mains dans la peinture. Le naturel, c’est nous. Elle ne me parle même jamais de soirée romantique. Toutes les sorties qu’on improvise semblent lui convenir. Alors pourquoi je suis en train de faire les cents pas dans l’appart de Brice, sous le regard de mes deux frangins à deux doigts de me ronger les ongles ? 

Je me dis que je peux décaler le week-end de St Valentin. Après tout, on peut fêter l’amour quand on veut ! Je cherche de nouveau mille idées. Mais tout me paraît basique. Je voudrais quelque chose qui marque le coup. Qui nous sort de l’ordinaire. Et qui montre à Vic que je peux surpasser ses ex. 

— Bon, reprend Brice avec son ton de paternel. Il se passe où ce shooting ? Ce n’est pas vers Paris en général ?

— Si, c’est sur Paris.

— Et bah Raph, t’es con ou tu le fais exprès ? Emmène Vic avec toi !

— En shooting ?

— À Paris. Tu fais ton truc et ensuite, la ville est à vous !

L’idée de l’emmener à Paris m’est venu tout de suite en voyant mon emploi du temps, mais j’avais peur que ce soit cliché. Je ne suis pas un type romantique. Vic n’est pas une fille romantique. On est bien ensemble, je l’aime comme un fou, mais c’est la première fois que je pense à organiser un truc à dix mille lieux de notre mode de vie. Je ne sais pas du tout si ça va lui plaire.

— Elle va adorer, j’en suis sûr. Toutes les filles rêvent de passer une St Valentin à Paris, non ?

— Vic n’est pas “toutes les filles”, Brice, rectifié-je les dents serrées. Quand est-ce que tu vas le comprendre ?

— T’excite pas ! Tu m’as demandé mon avis, je te le donne !

— Excuse-moi, soufflé-je, honteux. Je suis juste… pas sûr de moi.

C’est pas souvent que ça m’arrive.

— Rassure moi, tu comptes pas la demander en mariage à la St Valentin ? Plus cliché, tu meurs !

— Non ! On n’en est pas encore là.

— Mais tu y penses ?

Je ferme ma gueule. Brice me dévisage. Louis nous observe l’un après l’autre.

— J’y pense.

Je lui balance ça comme une provocation. Il m’arrive de temps en temps de me demander si après tout ce temps, il ressent toujours quelque chose pour Vic. Puis, je me rappelle qu’il a dépassé nos embrouilles, qu’il nous soutient, il l’a prouvé à maintes reprises. Là, il nous la joue grand frère blasé de se marier après le petit ! 

— Et lequel de nous serait ton témoin ? veut-il savoir ensuite.

Je lui envoie un sourire soulagé.

— J’en sais rien… tu veux être mon témoin,  Brice ? demandé-je pour le taquiner.

Il acquiesce d’un grand signe de tête.

— On est en train de parler mariage ou de soirée de St Valentin ? nous interrompt Louis à deux doigts de soupirer.

— Sois pas jaloux ! se moque notre aîné.

— Je ne suis pas jaloux : il nous prendra tous les deux, rétorque le plus posé de nous trois.

— Evidemment.

Louis : la voix de la sagesse !

Le moment de complicité fraternel s’estompe. On n’a toujours pas validé quoi que ce soit. Brice reprend son sérieux et son rôle de conseiller.

— Bon… cette St Valentin… Tu nous as habitués à plus d’assurance !

— Pour faire ce que je connais, être un branleur qui se la pète, oui ! rétorqué-je. Mais là, j’ai peur de me foirer.

— C’est Vic. Tu ne te foireras pas. Elle t’aime.

— Et si le shooting ne lui plaît pas ? On a fait plus glamour ! Je veux pas qu’elle se sente mise de côté pendant une heure ou deux.

— Elle est grande, Raph. 

— Pourquoi tu lui demandes pas directement ? intervient Louis. Vous fonctionnez comme ça d'habitude. Vous vous dites tout, non ?

Comme toujours, Louis a raison.

— En tout cas, cette St Valentin est déjà mémorable, commente Brice l’air mystérieux.

— Accouche !

— C’est la première fois que je te vois aussi peu sûr de toi ! C’est très satisfaisant !

— Je t’emmerde, Brice. 

Mon grand frère éclate de rire. Louis se penche vers moi pour chuchoter en mode comploteur :

— Il rigolera moins quand ce sera son tour...